Dézinté, la soirée des diplômés éméchés

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Soirées et évènements
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Gros 2000 alcool

Selon l’Académie française, le procédé de désintégration (nucléaire tant qu’à faire) évoque la destruction spontanée ou provoquée du noyau d’un élément chimique, qui se transforme en d’autres éléments de masse atomique plus faible, avec libération d’énergie sous forme de radiations. Bien que les étudiants aient abrégé le terme et lui aient troqué le s contre un z du plus pur effet djeuns, il subsiste tout-de-même quelques similitudes troublantes entre les deux concepts.

Je vous avais laissé sur notre retour de l’Oktoberfest. Pour aller à l’essentiel, ces six jours de débauche continuelle commençaient à laisser des traces, et je m’attelais difficilement à masquer cette misère à la face du monde – qui, pour la plupart de ses occupants, s’en cognait pas mal – et principalement à la famille Poutre, désespérément concrète et concernée elle, qui débarquait au complet l’après-midi même. Car il faut bien l’avouer, la remise de diplôme du petit dernier, après quelques années (euphémisme poli pour évoquer une période qui m’aurait porté au doctorat, à la gloire et aux jeunes infirmières nues, lascives et offertes) d’une vie étudiante plutôt chargée – les derniers jours n’en étaient qu’une illustration de plus – ça mérite un pèlerinage discret vers la capitale pour les bouseux que nous sommes.

Rendez-vous était donc pris à l’ENSAM pour une cérémonie plus rasoir qu’un trois lames. Les dirigeants du dispositif y rivalisaient de verbiages dans le but – inavoué, mais pourtant limpide – de retarder l’heure de notre défilé, et plus pragmatiquement du cocktail. Nous accédâmes pourtant aux honneurs des applaudissements du public, néanmoins incertains que les bravos n’accompagnent pas plutôt la fin du supplice. Il était temps de faire preuve de nos aptitudes concrètes. De savoir à savoir faire certes, mais de soifards à soifards faits surtout.

À ce sujet, une petite colle pour vous mettre dans le contexte (ce n’est pas sale, à part si c’est le nom que vous donnez à une partie intime de votre anatomie) : à quoi reconnait-on un diplômé lors de cet événement ? Il y’a deux réponses :

  • il porte un costume, et n’est visiblement pas à l’aise avec,
  • il considère le cocktail non pas comme un moment de détente et de partage en société, mais comme une étape à la mine prévue pour la nuit, et vide donc par conséquent tous les verres qui passent à moins de deux mètres de ses mains. Si aucun récipient ne se présente, il envisage éventuellement de se déplacer, ou plus souvent de hurler au secours.

Nous mîmes un point d’honneur à terminer rapidement toutes les bouteilles, puis nous nous dirigeâmes toujours fiers, mais déjà chancelants, vers le restaurant pour un dernier diner de promotion, avant l’hallali de la soirée en elle-même. Là, la famille Poutre pût apprécier la joie d’un repas plein de fraternité, comprenant d’un coup pourquoi mon langage n’était pas allé en s’arrangeant au fil de ces dernières années. En à peine trois heures, nous avions terminé notre formation pour la soirée à venir. Trois ans pour y arriver, trois heures pour s’y préparer. Mais arriver jusqu’à la scène de la pièce dont nous étions cette année les acteurs releva de la gageure tant les corps et les esprits s’étaient déjà imprégnés du sang des dates marquantes pourtant riches en oublis (en clair, on était tous grave saouls).

À partir de ce moment, les mauvaises langues racontent que mes souvenirs doivent se compter sur les doigts d’un manchot (pas étonnant pour un informaticien). Ils ont tort : j’ai encore une bonne heure d’images plus ou moins floues en tête. En vrac – car c’est le mot – beaucoup d’embrassades, de toasts à notre nouvelle vie, à la fin de la galère, à la hausse du taux du rouble et à tout ce qui pouvait prétexter à nous en jeter un autre à travers le gosier. L’arrivée progressive de tous les Gros 2000 ne fit rien pour freiner cet élan. Nous glissâmes lentement (tout est relatif), mais implacablement vers un état d’ébriété avancé, tels des lentilles de contact neuves vers le fond de votre lavabo.

Le reste est, je dois l’avouer, nettement plus vague dans ma mémoire. D’aucuns avancent que j’ai passé une bonne demi-heure dans le décolleté d’une blonde de passage, plus loque que loque, avant de me livrer à quelques pas de danse seul sur la piste. Soit. C’est finalement plausible. Mais l’important n’est-il-pas qu’en dépit de l’agitation générale, la soirée se soit achevée sur les traditionnels et fédérateurs refrains des chansons du cru, entonnés par des gorges savamment hydratées par moult libations ? Non, vous préférez quand même mes dossiers minables ? OK, il reste le week-end de dézinté, si j’arrive jusque là.

Car le seul obstacle qui se dressait entre moi et mon lit, pour quelques heures de répit avant le coup final à ma vie étudiante, prenait la forme d’une ligne de métro dont les panneaux indicateurs avaient juré ma perte. Pourtant sûr de moi, et pas mal parti compte-tenu de mon état général, je commis à cette heure de lassitude extrême une boulette. Persuadé d’avoir croisé mon arrêt – pas celui de mon actuel domicile, mais celui de mon ancien appartement, à une trentaine de kilomètre de là – je sorti en trombe de la rame pour me ruer sur le train de l’autre quai. Sprint incroyable. Je montai dans le train, incroyablement fier de ma performance sportive.

Une station plus loin, je m’aperçu que non-seulement, je n’étais pas dans la bonne direction, mais qu’en plus, l’arrêt précédent (témoin de mon effort) devait être le bon. Un homme censé aurait fait marche arrière. Ce que je fis, à pied. Ne me demandez pas pourquoi, je pense avec le recul que je désirais montrer mon dédain des transports en commun par cet acte d’une extrême subversion. Ou que j’étais passablement rond. Une heure et demie pour accéder enfin au repos du juste. Jusqu’au lendemain.

Quid des similitudes avec la définition officielle d’une désintégration ? La destruction d’un noyau est, je l’espère, à mettre du côté des mauvais augures. Les éléments nouveaux, résultantes de la destruction susnommée, ne me semblent pas plus faibles, du moins une fois passé le coma du lendemain. Plus désabusés, nostalgiques et moins insouciants, peut-être. Pour ce qui est du dégagement d’énergie en revanche, je m’incline bien bas.

À suivre : WAD, la der des ders.